Comme beaucoup de personnes (au moins deux millions en France), depuis quelques années je suis sensibilisée à la question du changement climatique et mes inquiétudes à ce sujet grandissent. Comme beaucoup de personnes aussi, j’ai tenté de modifier mes habitudes de consommation et plus largement mes comportements pour mettre mes actes un peu plus en accord avec mes convictions. Nous avons commencé par vendre notre vieille voiture (qui ne servait que pour aller à la maison de campagne et pour se déplacer autour), mais il faut reconnaître qu’habitant dans le centre de Paris, cela ne nous a pas coûté beaucoup. Pour partir en week-ends et vacances en France, nous prenons toujours le train (souvent le TGV, mais aussi des TER), je m’arrange pour que la destination soit bien desservie et qu’il n’y ait pas besoin de voiture sur place (commerces et restos à proximité, bus ou train pour bouger, etc.). Plus récemment, pour diverses raisons (pas seulement climatiques), nous avons réduit notre consommation de viande et globalement n’en mangeons plus qu’une fois par jour, souvent en plus petite quantité (mais de meilleure qualité). Nous achetons beaucoup moins d’habits neufs, sommes devenus des habitués du Bon Coin et réparons autant que possible les appareils défaillants. Pour compléter le tableau, pas de baignoire dans l’appartement et des douches plus rapides – sans oublier bien sûr d’éteindre la lumière, d’éviter de laisser les appareils en veille et de ne pas surchauffer les pièces.
Le choc du test

Autant dire que je pensais bien faire. C’est donc l’esprit léger que j’abordais le test « Combien de CO2 contribuez-vous à émettre dans l’atmosphère ? » proposé dans l’excellente rubrique du Monde Les Décodeurs, convaincue que les résultats allaient démontrer que j’étais une bonne élève. Je cochais les cases, un petit sourire en coin : pas de voiture, transports en commun pour aller au travail, pas de sèche-linge ni de lave-vaisselle, régime semi-végétarien, c’est sûr, j’allais cartonner ! Quelle ne fut pas ma surprise en découvrant le verdict :

J’envoie près de 10,5 tonnes de CO2 dans l’atmosphère par an, soit le double de la moyenne nationale ! En y regardant de plus près, je vois que 67% de ces émissions proviennent des transports… et pourtant je ne prends pas la voiture ! Je refais le test pour être sûre, et là j’ai le déclic : le site me demande d’estimer le nombre d’heures de vol effectué par an, j’ai calculé à la louche, un « grand voyage » par an (Colombie, Thaïlande, New-York) et trois « petits » (Barcelone, Venise ou Budapest à moins de 100 euros A/R, Easyjet est mon ami) soit environ 30h par an. Et ça fait toute la différence, comme le montre le nouveau calcul sans ces voyages :

Cette fois je me situe 28% en dessous de la moyenne nationale et les transports ne représentent plus que 7% de mes émissions. Je n’aurais jamais imaginé que l’ensemble des « efforts » que je faisais tout au long de l’année puissent être anéantis par quelques allers-retours dans les airs. C’est peu connu en effet, mais l’avion est le moyen de transport le plus polluant en grammes de CO2 rejetés par kilomètre, selon l’Agence européenne de l’environnement (AEE) :

Un trafic (donc des émissions) en explosion
Les émissions de CO2 du secteur de l’aviation sont responsables de 5% des émissions globales.
Bien sûr, des progrès techniques sont réalisés et les nouvelles générations d’avions, beaucoup plus performantes, consomment moins que les anciennes, mais ces progrès sont balayés par le fait que le trafic aérien double tous les 15 ans : si la tendance se prolonge, il devrait passer de 2 milliards de passagers en 2005 à près de 16 milliards en 2050, tandis que le nombre d’avions dans le ciel aura plus que doublé par rapport à aujourd’hui ! Et contrairement à ce que l’on observe dans l’automobile, les avions électriques ne sont pas pour demain et les biocarburants aéronautiques sont encore balbutiants.
Pas de vrais progrès à attendre du secteur aéronautique
L’industrie n’a pas intérêt à changer puisque l’aviation échappe à l’accord de Paris (COP21) et bénéficie d’exonérations sur le kérosène, sur la taxe carbone et sur la TVA, soit environ 2,8 Milliards d’euros par an (Md€/an) pour la France.
L’OACI (Organisation internationale de l’aviation civile), qui regroupe 192 pays, a décidé en 2016 de mettre en place un système de compensation d’émissions baptisé Corsia : les compagnies aériennes vont acheter des crédits carbone auprès d’autres secteurs économiques pour financer des programmes de compensation d’émissions. Mais d’une part, ce système ne comprend par la Chine, l’Inde et la Russie, qui y sont opposés, d’autre part, la compensation carbone est loin d’être la solution.
J’y avais déjà pensé à titre personnel : certaines compagnies proposent en effet de faire un don pour cela, et plusieurs ONG, comme GoodPlanet ou myClimate, permettent à la fois de calculer l’équivalent carbone de son voyage, de le convertir en argent et de financer, pour un montant identique, des actions de reforestation ou d’amélioration de l’efficacité énergétique, en général dans les pays en développement ou émergents
L’équivalent écolo et laïc de l’achat d’indulgences, en somme, qui nous permettrait de voler la conscience tranquille.
S’il est toujours bienvenu d’investir dans ce genre de projets, l’efficacité de la reforestation est toutefois limitée : seules les forêts arrivées à maturité (au bout d’un siècle) peuvent commencer à stocker du carbone, et d’autres raisons font que c’est une fausse bonne idée comme l’explique très bien Jean-Marc Jancovici.
Mais le principal inconvénient du système de compensation est qu’il ne remet pas en cause la tendance qui incite les compagnies aériennes à mettre en service toujours plus d’avions…
Je découvre les initiatives existantes
Après avoir pris connaissance de ces informations, j’ai découvert que d’autres avaient déjà suivi tout ce cheminement de réflexion et étaient déjà passés à l’action pour sensibiliser les voyageurs à la question.
Depuis 2016, le réseau « Stay Grounded » (Restons sur Terre) regroupe des initiatives dans le monde entier pour réduire le trafic aérien et les destructions engendrées par les projets d’aéroports.
Dans les propositions, les membres suggèrent notamment d’aller vers d’autres modes de transport comme les trains de nuit. C’est justement le cheval de bataille du Collectif « Oui au train de nuit ! » qui milite pour le déploiement d’un réseau complet d’Intercités de nuit permettant, d’ici 2030, de réduire le recours à l’avion sur les déplacements à l’échelle européenne. Le Collectif donne en exemple l’Autriche et son réseau d’Intercités de nuit ÖBB « Nightjet » qui s’étend de Hambourg jusqu’à Rome.
Toutes ces actions sont importantes pour sensibiliser les citoyens et faire pression sur les politiques. Je m’en réjouis, mais il me semble qu’il manque encore un maillon nécessaire pour faire vraiment bouger les choses. Comme dans les autres domaines où il faut prendre un virage écologique, on ne peut pas se contenter de sortir des chiffres pour alarmer, et puis laisser les gens se débrouiller avec ça… Il ne suffit pas de s’adresser au cerveau rationnel, comme le montre Cyril Dion :
Imaginons que je vous en joigne d’arrêter de prendre l’avion pour que vos enfants puissent grandir dans un monde où il fera toujours une température supportable dans 20 ans. Vous considérerez une perte à court terme (ne plus prendre l’avion) face à un gain hypothétique à long terme. Car, comme vous le soufflera votre cerveau rationnel, rien ne dit que votre seul comportement aura une conséquence heureuse sur le climat. Rien ne dit non plus que votre engagement sera contagieux et que tout le monde vous imitera. D’autres facteurs rentrent en ligne de compte. Votre cerveau rationnel ajoutera, sans doute à raison, qu’il serait plus efficace que les Etats régulent les émissions de gaz à effet de serre. Et que, pendant que vous faites des efforts qui ne servent certainement à rien, d’autres continuent à passer du bon temps à l’autre bout de la terre, à découvrir les merveilles du monde, à polluer et même à gagner de l’argent avec le trafic aérien le tourisme de masse, etc. Et je ne parle même pas de ceux qui mettent en doute la réalité du changement climatique. Admettons maintenant que vous tombiez sur une super-promotion pour passer une semaine de vacances, en Guadeloupe en Martinique, avec l’être aimé. 50 % de réduction. En février, à Paris, alors qu’il fait froid, que vous n’avez pas vu le soleil depuis des mois, que votre boulot vous emmerde, que vous êtes fatigués. Que va peser l’hypothétique gain à long terme face au formidable gain à court terme ? Que va devenir l’information que vous avez enregistrée : un aller-retour Londres New York égale 3 m² de banquise en moins ? Rien. Pas grand-chose. Vous la relativiserez et choisirez et de prendre tout de même cet avion en égrenant toutes les bonnes raisons de le faire. Petit Manuel de résistance contemporaine, 2018
Cyril Dion, dans la lignée de Nancy Huston (L’Espèce fabulatrice) et de Yuval Noah Harari (Sapiens et Homo Deus), insiste sur l’importance des récits pour faire adhérer les populations à un projet, et donc la nécessité de créer de nouvelles fictions, positives, qui permettent d’imaginer, de rêver notre vie future (ce qu’il a contribué à faire avec ses documentaires Demain et Après Demain).
Partant de ce constat, dans le domaine du voyage, il ne faut pas que l’injonction à ne plus utiliser l’avion soit perçu comme une privation, un sacrifice, mais plutôt comme l’opportunité de vivre de nouvelles aventures, plus riches, plus belles et surtout plus inattendues.
L’idée est donc de donner envie de choisir les alternatives qui existent déjà en faisant des récits de voyage à l’ancienne, façon Nicolas Bouvier ou Jacques Lacarrière, mais aussi de fournir tous les détails pratiques pour faciliter l’organisation d’un tel périple. De montrer que c’est possible, et que de nombreuses personnes le font déjà. Ne pas cacher que ce n’est pas toujours facile, que cela peut être fatigant, mais laisser aussi entrevoir ce que l’on gagne à ralentir, à prendre le temps du désir, de la découverte progressive d’un pays ou d’un continent.
C’est un défi qui se veut collectif, car plus il y aura de témoignages sur ce blog, plus la démonstration sera faite qu’on peut voyager autrement.